Le cas Renault a déjà été discuté deux fois dans cette rubrique,
ici et
là. Les récents développements nous incitent naturellement à revisiter le dossier.
Première observation : un éventuel manquement de M. Ghosn à la législation fiscale japonaise n'a aucun rapport avec les résultats ou la situation financière de Renault.
Deuxième observation : dans une industrie aussi difficile et compétitive que l'automobile, il n'existe que deux stratégies de survie – se positionner sur un segment luxe à fortes marges, ou compenser des marges plus réduites par d'importants volumes et des économies d’échelle ; à ce titre, il serait étonnant que Nissan ou Mitsubishi prennent le risque de compromettre l'alliance qui les unit au constructeur français, tant leur survie semble indexée à la pérennité de cette dernière.
Troisième observation : si l'action Renault était déjà étonnamment abordable – à l'instar cependant de tous les constructeurs automobiles,
comme BMW que nous présentions la semaine dernière – elle est depuis hier 19 novembre
extraordinairement décotée.
En effet, sans verser dans une analyse sophistiquée type modèle financier ou sommes des parties, on remarque que la capitalisation boursière du groupe (17 milliards d'euros) représente un multiple de x3.3 les profits de l'an passé (5,1 milliards), et une décote de 50% sur la valeur des capitaux propres (34 milliards) pourtant rentables sur le cycle long.
De tels niveaux de valorisation sont habituellement réservés à des entreprises en situation de quasi faillite. Or, Renault semble à des années lumières d'un tel engrenage : remarquablement capitalisé et en croissance pérenne depuis dix ans – à un rythme annualisé de 5% – le groupe a bien amélioré son profil de marge sur la période, et généré du cash en excès à quasiment chaque exercice.
Nissan, détenue par Renault à hauteur de 43,7% de son capital, affiche également une performance financière satisfaisante, avec 4% de croissance annualisée de son chiffre d'affaires depuis 2008, et une marge nette record sur les deux derniers exercices.
Afin d'adopter une approche plus conservatrice, il convient toutefois de lisser le résultat net des cinq dernières années, qui ressort alors à 2,7 milliards d’euros : la capitalisation boursière actuelle représente donc un multiple d'environ 6.5x ce profit moyen réalisé par le groupe.
De son côté, la rentabilité des capitaux propres lissée sur la période avoisine les 10% – grosso modo le coût du capital chez les investisseurs exigeants. Cela étant dit, brader lesdits capitaux propres à hauteur de 50% de leur valeur comptable – qui sous-estime sans doute la valeur de la participation dans Nissan – apparaît excessivement conservateur, sinon déraisonnable dans le cas d'une entreprise rentable, bien gérée, et grâce à l'Alliance assise sur un formidable avantage compétitif, à savoir son échelle.
L'industrie automobile, nous le rappelons régulièrement, est aussi difficile qu'ingrate, car cyclique, hyper concurrentielle et incurablement capitalistique. La qualité des profits y est sujette à caution et l'opacité des divisions financement – pourtant essentielles dans la performance financière consolidée – plus ou moins absolue.
Par ailleurs, la chute de M. Ghosn frappe par sa violence et sa rapidité : contrôlées de près par des conseils d'administration tatillons au Japon comme en Europe, les rémunérations des dirigeants – aussi bien directes qu'indirectes, avantages en natures inclus – sont normalement transparentes et bien documentées.
Qu'un tel dossier émerge de la sorte ressemble à s'y méprendre à une révolution de palais, et fait craindre d'éventuelles tensions plus profondes qu’escompté entre Renault et Nissan. La réconciliation exigera des compromis : souhaitons qu’ils soient rapidement trouvés par les parties concernées.
Tous ces risques – bien réels – sont a priori plus qu'intégrés dans le prix. Ainsi, sans même chercher à esquisser une valorisation précise, il semble qu'un investissement à ce cours se borne à prendre le contre-pied d'un pessimisme maximal du marché.
La situation devrait donc susciter l’intérêt des investisseurs contrariens, concentrés sur le long terme et détachés de la fureur médiatique.
(L'auteur est actionnaire à un cours moyen de 56 euros.)
(EDIT 28/11/2018: L'auteur a vendu ses actions à un cours de 62 euros pour privilégier d'autres opportunités.)